Devenez sorciers, devenez savants, Georges Charpak & Henri Broch

Par Melmothia

« Nous ne prétendons nullement dans ce livre renverser le cours des choses. Nous espérons seulement, en proposant quelques expériences de sorcellerie banales, montrer comment un certain nombre de sorciers modernes abusent le pauvre monde ! En apprenant à berner les autres, vous serez mieux préparés à déceler les boniments des marchands d’illusions qui cherchent à vous persuader de leurs connaissances hors du commun, que ce soit dans les domaines touchant à la santé, à la vie sentimentale ou à la politique. Nous ne voulons en aucun cas imposer une pensée unique, nous militons au contraire pour le doute, le scepticisme, la curiosité et la science. Restez savants, devenez sorciers ! » (extrait du quatrième de couverture)

Sorti en 2002, l’ouvrage de Broch et Charpak, Devenez sorciers, devenez savants, se propose de nous éclairer sur les techniques de manipulation utilisées par les escrocs du paranormal. Et en effet, elle s’y trouvent quasiment toutes, mais contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, si le lecteur en sort plus savant en matière d’impostures intellectuelles, c’est moins parce que les auteurs les décrivent que parce qu’ils les emploient.

Une longue introduction nous apprend que la planète est en danger, surpopulation, réchauffement climatique, pollution. La science c’est formidable, mais on a décidément trop poussé le moteur. Or, seul le progrès peut nous sauver des bavures du progrès en inventant d’autres façons d’être au monde, nous dit Broch, cependant, pour cela, il faudrait «qu’une large fraction des sociétés humaines maîtrise le raisonnement scientifique », or de vieux réflexes obscurantistes : « les superstitions, l’astrologie, le paranormal, les trucages habiles » empêchent le miracle.

Voilà ça commence bien : les trous dans la couche d’ozone, c’est de notre faute.

Après l’ouverture visant à responsabiliser le pauvre péquin qui n’aurait pas compris que son système de croyances menace la survie de l’univers, vient ensuite la présentation du menu : On va vous enseigner des trucs de magiciens – lapin là, lapin plus là -, ce qui va vous rendre plus intelligent, car l’ignorance [petit cours sur la radioactivité] est cause de tous les maux.

Pour rester dans le lapin, le chapitre suivant nous en sort deux plus très frais du chapeau, la précession des équinoxes censée porter un coup mortel à l’astrologie et l’indémodable effet Barnum : « plus un discours est vague, plus les personnes qui l’écoutent peuvent se reconnaître et se reconnaître majoritairement dans ce discours ». Profitez-en, ce sont les deux seuls arguments de l’ouvrage, et qu’ils soient discutés et glosés depuis plus de soixante ans n’empêche en rien nos auteurs de les exposer avec la fierté d’une poule qui a pondu un œuf tout chaud.

Ensuite, petit exercice amusant : Fixez l’image dix secondes et regardez ensuite la page blanche [petit cours sur la persistance rétinienne] ce qui nous permet de conclure que… ? Rien. Escamotage de la conclusion et retour du lapin dans le chapeau. On enchaîne immédiatement sur un tour téléphonique destiné à faire croire à vos potes que vous êtes télépathes. Le truc est assez habile ; moins fort cependant que celui de Broch consistant à faire disparaître une fois de plus la conclusion. Mais il est vrai qu’avec toute la mauvaise foi du monde, il est difficile de soutenir que la persistance rétinienne puisse suffire à expliquer les apparitions spectrales. Par contre, on peut insinuer. C’est d’ailleurs là toute la dynamique de l’ouvrage, qui s’inspire beaucoup des analyses politiques de ma concierge : amalgames, insinuations, raccourcis, discrédit des acteurs… C’est que nos auteurs savent qu’il est plus payant de jouer de l’insinuation en laissant le lecteur tirer tout seul ses conclusions erronées. Bavez, il en restera toujours quelque chose.

Un [petit cours sur les alliages à mémoire de forme] plus loin, destiné à montrer la vanité de la télékinésie, on apprend que les coincidences ne sont que des coincidences. Quant aux résultats publiés par les chercheurs en parapsychologie, ils sont dûs à des trompe l’œil statistiques lorsque la fraude n’est pas « une des sources principales des recherches en parapsychologie » – Ça c’est fait…

Pour tout dire, j’attendais quand même quelque chose de ce livre. Des réflexions, des arguments, mais il ne s’y trouve rien de ce genre. Il m’aurait pourtant suffi de le feuilleter avant de l’acquérir, puisque le sommet de l’argumentaire culmine dans les illustrations. Ô lecteurs naïfs qui croyez en toutes ces foutaises, voilà comment on vous trompe :

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Image extraite de « Devenez sorciers, devenez savants ».

En fin de compte, on arrive au bout du livre sans être, malgré la promesse du titre, ni plus sorcier ni plus savant, par contre avec la vague impression d’avoir été pris pour un abruti.

Plus intéressante est l’expérience de marche sur le feu où Broch a donné de sa personne. Hélas après l’exposé des diverses hypothèses visant à expliquer l’absence de brûlure [en passant, petit cours sur la cuisson du poulet], les auteurs oublient de préciser que personne n’a jamais prétendu que marcher sur le feu relevait du paranormal. Mais comme il s’agit de constituer un dossier à charge, on ne va pas se priver de mélanger les torchons et les serviettes.

Vous pensez que j’exagère ? Hélas non. Voilà tout le contenu du livre, deux-cents pages d’autodafé dont tout l’argumentaire est du goût de cette anecdote fermant le chapitre 2 : le physicien Frédéric Joliot, nous dit Broch, aurait déclaré, au cours d’un dîner où des étudiants lui faisaient part de leur étonnement face à des expériences ressemblant à de la télépathie, qu’il y avait forcément « un truc ». C’est tout? Oui, c’est tout. N’est-il pas édifiant et riche d’enseignement ce récit ?… Non? Alors plus intéressante sera sans doute la conclusion qu’y apporte Broch : « Il importe peu que vous soyez toujours en mesure de mettre à jour une supercherie ».

Le chiffre insolent des ventes de l’ouvrage tend à confirmer que Broch et Charpak ont au moins raison sur un point : Les gens sont vraiment prêts à gober n’importe quoi.

Melmothia, 2009.

Commentaires 7

  • De brich et de Broch. L’expression doit venir de lui. J’ai entendu parler du monsieur par le biais de ses « disciples » zététiciens.
    Alors que nous avions tout le mal du monde à nous entendre sur un protocole d’étude précis
    (Curieusement cette fois-là, ça semblait ne pas les arranger que le cadre soit étroit… avec des grandes mises en garde du genre : mais tu sais, si ça marche pas, c’est dommageable pour toi, réfléchis bien, nous on a rien à perdre. et moi de répondre : « il n’y a pas de problème. Je suis gagnant dans tous les cas. On est là pour étudier, et même négatif, le résultat est une information de plus »)Il est indéniable qu’ils étaient gênés de ne pas avoir en face d’eux quelqu’un qui voulait en découdre, quelqu’un de rigide, bref quelqu’un qu’il va être plaisant de démonter. D’ailleurs par un coup du lapin que vous décrivez si bien, ils ont finalement renoncé à « m’expérimenter ». J’ai gardé tous les mails, c’est pitoyable de voir que devant la précision, l’envie de découvrir et de travailler ils n’ont plus qu’à reculer. Autre chose aussi qu’ils ne disent pas : c’est que quand l’expérience, ils n’arrivent pas à la démonter, ils proposent un chèque, et le montant est substantiel. Récemment, une expérience n’a pas été « démonté ». J’ai cru comprendre que l’expérimentateur attend toujours d’être rêglé.

    Enfin bref, passons. Pour se détendre un peu on a été boire une bière. Et c’est là que j’ai appris que le monsieur utilisait le tarot pour choper des meufs pendant ses études universitaires.

    PS : vous êtes agréable à lire.

  • Merci pour le témoignage. Bizarrement, je ne suis pas étonnée… 🙂

  • C’est avec un plaisir sans borne que je viens de déguster ton article.

    En ce qui concerne ces « justiciers de la vérité » qui dénoncent vénalement les salades des autres pour nous vendre leurs carottes,nous pensons dans la même direction.

    ;D

  • J’ai également lu ce livre, que j’avais échangé sur internet, donc je n’avais pas pu voir le contenu avant, sinon, comme le dit si bien Helmotia, je me serai aussi abstenu de le lire…

    On en ressort absolument ni plus savant ni plus sorcier !!

    Et j’ai également eu l’impression d’avoir été prise pour une andouille !!!

    Le titre est vraiment mal approprié !!!

  • Bonjour,

    j’ai lu ce livre et je n’ai pas du tout perçu ses arguments de la manière décrite ci dessus.
    L’introduction n’est en rien une apologie de la science. Il n’est qu’une incitation à la réflexion objective, sereine et rationnelle ; sans recours à un optimisme ou à un défaitisme systématique donc.

    La seule « faiblesse » que j’ai pu y percevoir est l’ironie des descriptions des stratagèmes des voyants lorsqu’ils semblent douteux sur le plan de la rigueur scientifique. Cette ironie est certes divertissante mais sort du cadre de l’étude.

    La partie statistique est intéressante, pertinente et instructive.
    C’est de plus un ouvrage factuel à l’inverse de tout ce que j’ai pu lire dans la plupart des revues scientifiques ou grand public.

    J’ai moi même pu essayer pour l’expérience les méthodes de pseudo-voyance (reposant sur l’effet puits, l’effet barnum et autres subterfuges psychologiques) et ça a marché au delà de toutes mes espérances malgré mon absence totale de dons d’astrologie et de voyance (que je n’ai pas manqué d’avouer à la fin des expériences)

    Quant à l’impression d’avoir été pris pour une andouille, je ne dirais pas ça ; lorsqu’on cherche à expliquer un phénomène à un public large, on cherche au maximum à rester précis et factuel tout en étant simple et en ayant recours à des exemples parlant, donc tirés de la vie de tous les jours. D’où l’impression qu’on s’adresse à nous comme on le ferait à un enfant.
    Mais c’est une impression que n’importe qui a pu ressentir à l’école (où l’instituteur nous explique quelque chose sans pour autant nous considérer comme des idiots)

    Salutations

    Damien

  • J’ai bien rigolé en lisant tous vos témoignages et ce livre aussi. Surtout celui d’Anaël concernant ses soit disants échanges avec les zététiciens (intox ou vérité ?….)
    Mais moi, sans aller faire la guerre avec les uns ou les autres, quand je rencontre un adepte d’une science occulte ou de pouvoirs psi, j’ai essayé de les soumettre à des test et à me méfier et aucun n’a réussi à faire quoi que ce soit.

    « On ne ressort pas plus sorcier qu’avant » (François)
    Peut être pas mais un peu moins con, ça oui certainement pourtant.

    A +

  • Ca fait un petit moment que j’ai acquis ce livre et j’ai bien envie de le relire une quatrième fois suite à la lecture de votre article !

    Certes, il n’est pas parfait dans sa construction et manque souvent d’explications plus concrètes, plus rigoureuses. Les auteurs se moquent beaucoup (mais n’est-ce pas tentant parfois face à certaines allégations ou théories paranormales ?) ce qui peut nuire au sérieux de l’approche et braquer certains lecteurs qui pourraient se sentir insultés ou pris pour des imbéciles.

    Le livre « Petit cours d’auto-défense intellectuelle » est plus direct et mieux construit.
    Il ne traite pas que des phénomènes paranormaux.

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