L’origine du poisson d’avril

Par Melmothia

Dehors il ne neige ni ne pleut, mais il fait peste noire. Ce qui incite encore moins à sortir. Dans son château de Roussillon, le petit Charles IX est penché sur son livre de coloriage. Il a terminé le Massacre de Vassy sans dépasser et s’apprête à attaquer la barbe fleurie de Charlemagne en huit dégradés avec des numéros.

« Maaaaaman ! J’m’ennuie… »

« Joue avec ton bilboquet. »

« Pas envie. »

« Eh bien, je ne sais pas, moi… Brûle un protestant. »

« Mais tu as dit qu’on avait fait la paix ! »

« Ah, oui, c’est vrai. Tiens, je sais : Tu n’as qu’à changer les dates du calendrier. »

« C’est vrai, dis-je-peux ? »

Et le petit Charles d’écrire avec sa plus belle plume en tirant la langue : « Voulons et ordonnons qu’en tous actes, registres, instruments, contracts, ordonnances, édicts, tant patentes que missives, et toute escripture privé, l’année commence doresnavant et soit comptée du premier jour de ce moys de janvier ». Après avoir intitulé sa copie « Édit du Roussillon », le roi va la faire connaître dans tout le pays, déclenchant le désarroi de quelques réfractaires qui avaient pris le pli de picoler le 31 mars. Pour les faire taire, on leur jette des poissons pourris en se moquant d’eux « hou les réacs ! ». De là, nos blagues du 1er avril, dit la légende, de fausses étrennes pour un Nouvel An passé de mode.

Mais voilà, cette belle histoire est fausse. En réalité, si Charles IX, fils de Catherine de Médicis, a bien rédigé l’Édit du Roussillon fixant le début de l’année au 1er janvier, il y a peu de chances pour que l’événement ait un rapport avec la coutume d’accrocher des poissons dans le dos des gens. D’abord, le début de l’année variait en France selon les régions, les étrennes semblant plutôt suivre la tradition romaine qui les situait au premier jour de janvier. Ensuite il est probable que des fêtes semblables existaient bien avant cet après-midi de coloriage royal. On trouve ainsi en Espagne un Jour des Saints Innocents (dia de los santos inocentes, prononcez avec l’accent por favor), où il est de bon ton d’épingler un personnage en papier dans le dos de ses concitoyens. D’autres genèses fleurissent çà et là pour expliquer notre 1er avril. L’une invoque la fin du Carême, l’autre celle de la saison de la pêche. Début avril c’est en effet le temps des amours chez les truites – d’où l’expression « il fraie, mon poisson ». Pour fêter ça, on se fait des blagues… On ne peut plus pêcher ? Ha-ha-ha ! Ça ne vous fait pas rire ? Moi non plus. J’ai toujours eu du mal avec l’humour pisciculteur.

Il faut donc admettre que les partouzes fluviales et le retour du gigot à table n’ont aucun rapport avec notre Jour des Fous. Passons sans transition à la troisième version : dès le XVIIIe siècle, on parle de « poisson d’avril » au sens de plaisanterie, mais il n’est encore question ni de cadeau ni d’étrennes, encore moins de papiers pendouillant dans le dos. Les canulars de l’époque consistent à faire perdre son temps à quelqu’un en démarches et courses inutiles de type « tiens va là, puis va là-bas… » avec, à l’arrivée, retour au point de départ, si j’ose dire.

Grâce à un blogueur cultivé, j’ai ainsi appris que les dictionnaires de l’époque proposaient un rapprochement linguistique éclairant : le poisson que l’on pêche en abondance en avril est le maquereau, terme qui avait déjà le double sens qu’on lui connaît. Dès le XVIe siècle on nomme d’ailleurs « poisson d’avril » quelqu’un (un laquais généralement), que l’on charge d’apporter un billet galant : « On appelle Poisson d’avril, un poisson de figure longue & menuë dont on fait une pesche fort abondante en cette saison, qu’on nomme autrement Maquereau & parce qu’on appelle du même nom les entremetteurs des amours illicites, cela est cause qu’on nomme aussi ces gens-là Poissons d’Avril » [1]. Un double jeu de mots, semblerait-il, puisque le terme « poisson » serait venu remplacer celui de « passion », nous dit le Dictionnaire de Trevoux, par allusion à la passion du Christ (dont le symbole est un poisson). Comme souvent la culture populaire nous compacte tout ça en vaudeville : Passion du Christ – du poisson, passion- amour, retour au poisson par le maquereau, billets doux et billets moins doux accrochés dans le dos, rendez-vous ratés, farces de mauvais goût, etc.

Par conséquent, pour tous les abonnés aux râteaux et ceux qui restent muets comme des carpes au premier rendez-vous, je propose qu’on déplace la Saint Valentin le 1er avril. Ainsi, ils pourront désormais s’en tirer avec une pirouette : « Mais non, j’te draguais pas, c’était une blague !… D’ailleurs, j’adore le célibat ».

Melmothia 2007.

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[1] Dictionnaire d’Antoine Furetière (1690), Source : Technologies du langage.

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